Littérature, Projets

Le message

 

D'abord il y a un stage en décembre 2023, deux jours, à la Maison des métallos pour écrire sur le coup de foudre avec l'autrice de théâtre Catherine Verlaguet.

En voici le résultat.

Ensuite il y a un concert de Fanny Lasfargues, bassiste électro, le 16 décembre, accompagnée par les comédien·nes de La (nouvelle) Ronde qui performent des écrits sur le coup de foudre. 

Lecture performée par Elise Martin à découvrir ici.

     C’est une rue de neige. Il fait froid. Ça claque les joues, les cuisses. C’est une rue de nuit, interrompue par les carrés de lumière des restaurants, par les portes ouvertes sur les voix qui trinquent, les fermetures éclairs qui se tirent, les froissements de pas sur le blanc. Elle a les yeux heureux, la bouche aussi. Elle n’a jamais vu autant de neige, ça brille de tous les côtés et puis ça se frotte, ça se glisse, ça s’adoucit, se recouvre. Ce n’est pas son pays, c’est devenu sa ville. Dans cette rue, il n’y a rien qu’elle reconnaisse, ni les mots sur les panneaux, ni les devantures des boutiques, les petits bonhommes au feu ou les gens qui se pressent, épaules en avant. Elle ne reconnaît que ce picotement dans son corps et l’utilité d’une longue rue qui laisse le temps au corps de picoter. Elle marche comme une petite fille en cherchant ses empreintes. Elle roule une boule sur le toit d’une voiture, la laisse noyer ses doigts, s’égoutter dans la neige. Elle s’arrête pour envoyer un message.

 Est-ce trop tard pour t’embrasser ? 

-          Ça va ?

-          T’as raté quelque chose !

-          Y a encore des trucs à boire ?

-          Alex a fait de la luge dans l’escalier !

-          C’est chez qui ici déjà ?

-          Je peux te faire un whisky coca si ça te dit.

-          La musique est vraiment cool, c’est quoi ce morceau ?

-          Je suis content que tu sois là.

 

Elle le regarde, son visage plein de brun, teinté par à-coups de violet, de jaune, de rouge du néon accroché au mur, et puis ses lèvres rondes, ses cheveux électriques, ses yeux peints en noir. L’appartement n’est pas très grand, rempli d’autres qu’eux, les verres levés pour danser, pour guider. Dans cette rue, elle s’est sentie capable, mais maintenant face à lui, devant le monde, elle voudrait reculer, faire que cette journée ne soit pas différente des autres, qu’elle puisse la rouler comme un tapis dans le coin pour déjà l’oublier. Elle a la gorge qui se serre, qui retient les mots. Le chaud l’assomme par rapport au froid de l’hiver qui tient en éveil, en alerte. Elle observe les autres, ceux qui fument, les doigts penchés aux fenêtres, ceux qui ont les dents qui brillent d’alcool, ceux qui se cherchent, ceux qui se serrent.

Elle voudrait aller dehors.

-          Tu veux pas qu’on sorte de là…on s’entend pas...j’ai pas la voix…

-          Quoi ? il dit en lui tendant un verre.

Les glaçons éclatent dans le coca tiède.

-          Je disais…j’ai pas la voix…qui porte…quand j’essaie…on dirait que je m’énerve, que je suis énervée… je veux pas…avoir l’air énervée.

Elle se fait bousculer. Il la rattrape, par le coude et ça picote encore plus fort et ça éclate dans le bas du dos comme du maïs dans une casserole.

-          T’as pas l’air énervée.

Elle se penche, un peu, laisse flotter, un peu, sa main sur son bras, un corps de peau qu’elle voudrait déjà toucher. Elle se demande comment elle n’a pas remarqué avant sa beauté, qui ressemble à une fleur ouverte pendant la nuit.

-          J’aime bien être avec toi…si on reste là…tu vas comprendre qu’un mot sur deux… et demain…tu auras tout oublié…tout ça…tout ça…j’aurais répété pour rien…dans ma tête… tout ça pour rien.

Elle cogne ses yeux partout en disant ça.

Il rapproche sa bouche de son oreille.

-          Moi aussi j’ai envie de t’embrasser.

Elle porte maintenant les joues rouges de ce qui adviendra quand ils se retrouveront seuls, de quand ils finiront par aller droit dessus l’un l’autre.

-          T’auras qu’à fumer une cigarette...ce sera pas long…après…après c’est trop tard…après faut que je rentre…que je me dégonfle…faut que ce soit maintenant… tu vois… après…après je vais me dégonfler…c’est sûr.

Il l’attrape par la main, ça ne s’explique pas la douceur d’une main, c’est comme se glisser dans un pull, c’est faire des plans sur la comète, remonter à vélo et accélérer, manger du pop-corn. La douceur d’une main c’est comme découvrir au matin une fleur poussée pendant la nuit.

Ils sortent du bruit et du monde, dans cette rue qui n’est pas la sienne, dans cette rue de neige, l’un derrière l’autre.

 

 

Photographie ©Amélie Korsi

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