Littérature, Projets

Tyrolienne

 

Nouvelle fantastique inspirée par la forêt laotienne et par les illustrations de l'artiste danois John Kenn Mortensen.

Publication dans le recueil numérique Le Grimoire du Faune par Les Editions du Faune sur le thème "Spectre" à l'automne 2018.

Spectre : Perspective effrayante, menace, crainte. (Définition linternaute.fr). 

Extrait : 

La terre molle et lourde pénètre les sillons de mes chaussures. Depuis une heure, on gravit le sentier qui serpente entre les arbres. Une partie du harnais m’irrite en battant contre ma cuisse gauche.

« Vous avez de la chance, il ne pleut plus, » dit le guide.

L’homme a un visage rond, un crâne presque chauve bordé au-dessus des oreilles de touffes brunes. Il s’arrête pour attendre le couple, arrivé la veille de Russie, et dont j’ai fait connaissance dans la voiture. Ils ont tout quitté, famille, travail, sans date de retour. Ils ont les yeux qui brillent. Je me demande ce qui les a amenés ici. Je traverse le pays depuis un mois maintenant, et j’ai compris qu’il ne fallait rien s’imaginer, ni des personnes, ni des lieux ou des moments, qu’il fallait se contenter de marcher, de se laisser surprendre.  Alors je grimpe la pente, à la recherche de l’effort, sans penser à la suite. Les Russes marchent lentement. Lui est maladroit, glisse, trébuche, s’agrippe à la moindre branche qu’il tord, arrache, casse. Sa copine l’encourage. Le guide patiente, il doit avoir l’habitude de ce type de client. La brochure indiquait pourtant qu’il fallait disposer d’une bonne condition physique. J’accélère pour les semer. Le chemin s’arrondit, cerné d’immenses tiges de bambous qui se croisent par le dessus à la manière du jeu des mikados. Des bancs en arc de cercle sont posés là. Le contact du plastique me rafraîchit. La transpiration qui me coule entre les seins, les fesses, me chatouille comme une colonie d’insectes et accentue mon impatience. J’ai le temps de me relever et de me rasseoir plusieurs fois, ils n’arrivent pas. Le point de vue est strié par les arbres et les Araceae aux grandes feuilles. Je regarde le ciel, pas particulièrement bleu malgré la chaleur, mais plutôt aveuglant à pleurer. Je reprends le chemin en sens inverse, pour percevoir un murmure, un froissement de vêtement, la partie métallique du harnais qui tape contre une cuisse. Rien. Si, quelque chose, des cris percent soudain le silence, inhumains, semblables à des grincements de chauves-souris. Je frissonne à cause de la transpiration et de la solitude, soudain angoissante malgré le jour. Les autres apparaissent enfin et s’écroulent de concert sur le banc.

« Vous avez entendu ? » 

 

 

Peinture ©Johann Heinrich Füssli "Le cauchemar"

 

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