Audio

Fleur-clé

Pour l'inauguration de LIMAGINALE (fondé par Alice Moine) en mars 2025  des voix ont été enregistrées : celles des participantes et celle de l'illustratrice Gaëlle Correa (illustration ci-dessous) dont le travail a inspiré l'atelier.

J'ai écrit à cette occasion un texte que je lis à 3:36 que vous pouvez écouter ICI et que je dépose aussi retravaillé :

L'espace entre les lattes de bois, entre les dalles de béton, forme de possibles cachettes. On peut y glisser des objets fins.
Il y a un film comme ça, le personnage quitte sa maison, glisse un petit papier dans le mur. Un mot secret.
Je n'ai pas fait ça quand j'ai quitté la maison de mes parents, je n'ai pas eu envie de me cacher des mots réconfortants.
J'ai pensé mettre un mot dans le pavillon de vacances paternel à vendre, des gens l'ont visité, ont pris des mesures pour la piscine, pour cela il fallait détruire la maison, l'avancer dans le jardin, raser le figuier.
Finalement elle a été achetée par des médecins.
Finalement elle sera rasée aussi. 
La santé passe avant les souvenirs.
J'aurais dû mettre un mot. Dans la terre.
À la place j'ai pris la clé de l'armoire, crocheté une fleur autour. Elle a rejoint la fleur-clé de l'armoire de mon autre grand-mère. 
C'est mon plan, cueillir, rassembler les fleurs-clés des maisons d’une vie pour remplir les boîtes à souvenirs.
Au collège, pendant un trajet en bus, la fille devant moi avait écrit à sa voisine de siège en me jetant des coups d'œil moqueurs, puis tout déchiqueté et enfoncé les morceaux dans la minuscule poubelle accrochée devant elle.
J'en ai eu ras le bol d'être une victime.
J'ai attendu que le bus s'arrête, qu'elles s'éloignent et j'ai retiré le contenu de la poubelle. Avec les bouts de papier j'ai aussi emporté le bâton rongé d'une sucette dans son emballage et un vieux chewing-gum sec comme une pierre. 
Je n'ai pas réussi à lire ce qu'elles s'étaient dit, pas réussi à assembler les mots. L'ensemble avait été soigneusement barré et gribouillé.
Je l'ai quand même mis dans ma boîte à souvenirs avec les mots gentils qu'on m'avait écrit.
J'espère qu'on sera toujours amies, tu comptes trop, t'as qui comme prof principal cette année ?
Il y a des gens avec lesquels l'on reste en contact et d'autres non, des gens pour qui l'on fait des efforts et d'autres pour lesquels un jour on arrête d’essayer, des gens à qui l'on continue toute sa vie d'écrire des mots, d'envoyer des cartes et d'autres non.
Les possibilités de remplir des cachettes de mots sont infinies et les souvenirs qui nous restent encore plus.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *